« J’étais à la Comédie-Française le jour que Voltaire vint y voir représenter sa tragédie d’Irène. De ma vie je n’ai assisté à un pareil triomphe. Quand le grand homme entra dans sa loge, les cris, les applaudissemens furent tels que je crus que la salle allait s’effondrer. Il en fut de même au moment où on lui plaça la couronne sur la tête, et le célèbre vieillard était si maigre, si chétif, que d’aussi vives émotions me faisaient trembler pour lui. Quant à la pièce, on n’en écouta pas un mot, et cependant Voltaire put quitter la salle persuadé qu’Irène était son meilleur ouvrage.
J’avais une extrême envie d’aller le voir à l’hôtel de M. de Villette chez qui il logeait; mais ayant entendu dire que tout flatté qu’il était des visites sans nombre qui lui étaient faites, il en éprouvait une grande fatigue, je renonçai à mon projet. Je puis donc dire n’avoir été chez lui qu’en peinture, et voici comment. Hall, le plus habile peintre en miniature de cette époque, venait de finir mon portrait. Ce portrait était extrêmement ressemblant, et Hall étant allé voir Voltaire, le lui montra. Le célèbre vieillard, après l’avoir regardé long-temps le baisa à plusieurs reprises. J’avoue que je fus très flattée d’avoir reçu une pareille faveur, et que je sus fort bon gré à Hall d’être venu me l’affirmer. »
(Souvenirs de Madame Louise-Élisabeth Vigée-Lebrun, Tome premier)
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