En 1625, Belain d’Enambuc ou d’Esnambuc, gentilhomme dieppois, fréta un brigantin, et fit voile vers le nouveau monde, en quête d’aventures. Attaqué dans le golfe du Mexique par un navire espagnol, il lui échappa après une lutte héroïque. Mais il dut, pour réparer de graves avaries, relâcher à la première terre qu’il rencontra : c’était l’île de Saint-Christophe. En même temps que lui y débarquait un Anglais, sir Warner. Ils trouvèrent l’île occupée déjà par quelques Français qui vivaient en parfaite intelligence avec les Caraïbes, et ils en partagèrent par moitié la possession et le gouvernement.

D’Esnambuc organisa de son mieux la partie qui lui était échue, favorisa surtout la culture du tabac, et put, dès 1626, revenir en France avec un précieux chargement. Il profita de son voyage pour obtenir de Richelieu l’autorisation de fonder une colonie. Le cardinal lui accorda la possession des îles Saint-Christophe et autres, « et ce, pour y trafiquer, et négocier des denrées et marchandises qui se pourraient recueillir et tirer desdites îles et autres ».

À son retour à Saint-Christophe, d’Esnambuc chargea un sieur d’Orange de visiter les îles environnantes encore inoccupées. Celui-ci, à son retour, signala favorablement la Martinique, la Dominique et surtout la Guadeloupe. D’Esnambuc confia alors à son lieutenant Liénard de l’Olive la mission de se rendre en France pour y traiter avec la Compagnie, en leurs noms à tous deux, de l’exploitation de ces différentes terres. L’Olive se laissa séduire à Dieppe par Duplessis, sieur d’Ossonville, et passa bien le contrat désiré, mais pour son propre compte et celui de Duplessis.

D’après les statuts de la Compagnie, les gens qui voulaient se rendre aux îles, et qui ne pouvaient pas payer leur passage, devaient servir pendant trois ans ceux qui en avaient fait les frais, c’est-à-dire la Société ou les colons. Ce laps de temps écoulé, ils recevaient une concession de terre, ou étaient libres d’aliéner à nouveau leur liberté. C’est ce qu’on a appelé les engagés ou les trente-six mois. L’Olive et Duplessis embauchèrent dans ces conditions 550 individus, parmi lesquels 400 laboureurs environ, et l’expédition quitta Dieppe le 25 mai 1635.

Parvenu dans la mer des Antilles, on essaya d’abord de débarquer à la Martinique ; mais on dut en repartir aussitôt, tant fut grande la frayeur inspirée aux engagés par la vue d’innombrables serpents.

On atterrit à la Guadeloupe le 27 juin, un mois et deux jours après avoir quitté la France. Les deux chefs se partagèrent les hommes, les provisions, les outils, la terre, et s’établirent sur les points qui depuis reçurent les noms suivants : l’Olive à l’ouest de la pointe Allègre et sur la rivière du Vieux-Fort ; — Duplessis à l’est de cette même pointe, sur la rivière du Petit-Fort. Ils entendaient gouverner chacun par une méthode absolument différente : le premier ne comptait que sur la force et les mesures énergiques, souvent cruelles : le second employait toujours la douceur et la persuasion.
Duplessis mourut six mois après son arrivée, et l’Olive, resté seul, s’abandonna à son caractère violent.

Le but de toute sa vie devait être désormais l’extermination des Caraïbes, dont les réserves de patates et de manioc suppléeraient avantageusement, pensait-il, à l’insuffisance de ses provisions. Un jour, des Caraïbes s’étant emparés d’un hamac abandonné sur le rivage, en laissant en échange un porc et des fruits, le cruel capitaine trouva là le prétexte d’un guet-apens suivi de massacre. La guerre était allumée, guerre d’embûches, terrible des deux côtés, qui ne devait finir que de longues années après l’extermination des plus faibles.

Après l’Olive, vint une série de gouverneurs, sous l’administration desquels il n’y a rien d’important à signaler, sauf pourtant la colonisation des dépendances de la Guadeloupe, dont nous dirons quelques mots en nous occupant de chacune d’elles.

Pendant que ces faits s’accomplissaient à la Guadeloupe, Belain d’Esnambuc, désireux de faire tout au moins aussi bien que son infidèle lieutenant, avait pris possession de la Martinique, à la tête d’une centaine d’hommes. Il y jeta les fondations de la ville de Saint-Pierre en juillet 1635 ; puis, ayant confié à son second Dupont la direction du nouvel établissement, il retourna à Saint-Christophe.

— Georges Haurigot, Excursion aux Antilles françaises

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