La chambre était tendue de satin rose broché de ramages cramoisis, les rideaux tombaient amplement des fenêtres, cassant sur un tapis à fleurs de pourpre leurs grands plis de velours grenat. Aux murs étaient appendus des sanguines de Boucher et des plats ronds en cuivre fleuronnés et niellés par un artiste de la Renaissance.

Le divan, les fauteuils, les chaises, étaient couverts d’étoffe pareille aux tentures, avec crépines incarnates, et sur la cheminée que surmontait une glace sans tain, découvrant un ciel d’automne tout empourpré par un soleil couchant et des forêts aux feuillages lie de vin, s’épanouissait, dans une vaste jardinière, un énorme bouquet d’azaléas carminées, de sauges, de digitales et d’amarantes.

La toute-puissante déesse était enfouie dans les coussins du divan, frottant ses tresses rousses sur le satin cerise, déployant ses jupes roses, faisant tournoyer au bout de son pied sa mignonne mule de maroquin. Elle soupira mignardement, se leva, étira ses bras, fit craquer ses jointures, saisit une bouteille à large ventre et se versa, dans un petit verre effilé de patte et tourné en vrille, un filet de porto mordoré.

À ce moment, le soleil inonda le boudoir de ses lueurs rouges, piqua de scintillantes bluettes les spirales du verre, fit étinceler, comme des topazes brûlées, l’ambrosiaque liqueur et, brisant ses rayons contre le cuivre des plats, y alluma de fulgurants incendies. Ce fut un rutilant fouillis de flammes sur lequel se découpa la figure de la buveuse, semblable à ces vierges du Cimabué et de l’Angelico, dont les têtes sont ceintes de nimbes d’or.

Cette fanfare de rouge m’étourdissait ; cette gamme d’une intensité furieuse, d’une violence inouïe, m’aveuglait ; je fermai les yeux et, quand je les rouvris, la teinte éblouissante s’était évanouie, le soleil s’était couché !

Depuis ce temps, le boudoir rouge et la buveuse ont disparu ; le magique flamboiement s’est éteint pour moi.

L’été, cependant, alors que la nostalgie du rouge m’oppresse plus lourdement, je lève la tête vers le soleil, et là, sous ses cuisantes piqûres, impassible, les yeux obstinément fermés, j’entrevois, sous le voile de mes paupières, une vapeur rouge ; je rappelle mes souvenirs et je revois, pour une minute, pour une seconde, l’inquiétante fascination, l’inoubliable enchantement.

Joris-Karl Huysmans, Le Drageoir aux épices (1874)

Chercher (Google), Voir (YouTube), Réserver (en France)