Huit jours après le retour de Maître Le Ponsart à Beauchamp, M. Lambois se promenait dans son salon, en consultant d’un air inquiet la pendule.
Enfin ! dit-il, entendant un coup de sonnette, et il se précipita dans le vestibule où, plus placide que jamais, le notaire accrochait son paletot à une tête de cerf.
— Ah ça, voyons, qu’est-ce qu’il y a ? dit-il, en suivant M. Lambois dans le salon où une table de whist était prête.
— Il y a que j’ai reçu une lettre de Paris, relative à cette fille !
— Ce n’est que cela, fit Maître Le Ponsart dont la bouche se plissa, dédaigneuse ; je croyais qu’il s’agissait de faits plus graves.
Cette assurance allégea visiblement M. Lambois.
— Lisons cette lettre avant que ces messieurs n’arrivent, reprit le notaire, en regardant de côté les quatre chaises symétriquement rangées devant la table.
Il chaussa ses lunettes, s’assit près d’un flambeau de jeu et il tenta de déchiffrer un griffonnage écrit avec une encre aquatique, très claire, sur un papier très glacé, qui buvait par places.
Monsieur,
« J’ose prendre la liberté d’écrire à votre bon cœur, en vous suppliant de vouloir bien prendre part à ma situation. Depuis que Monsieur Ponsart est venu et a emporté les meubles, Sophie qui n’avait plus un endroit pour reposer sa tête a été recueillie chez moi, comme l’enfant de la maison ; et elle en était digne, Monsieur, par son bon cœur, bien que Monsieur Ponsart ne lui ait pas rendu la justice qu’elle croyait, mais tout le monde ne peut pas être louis d’or et plaire à tout le monde…
— Quel style ! s’exclama le notaire. Mais sautons cet inutile verbiage et arrivons au fait ! Ah ! nous y voilà !
« Sophie a eu une fausse couche bien malheureuse ; elle était dans l’arrière-boutique où que je prépare mes petites affaires pour que la boutique où l’on entre soit toujours propre, quand elle été prise de douleurs ; Madame Dauriatte…
— Qui est-ce, Madame Dauriatte ? demanda M. Lambois.
Le notaire fit signe qu’il ignorait jusqu’au nom de cette dame et poursuivit :
« Madame Dauriatte n’a pas cru d’abord qu’il y allait avoir une fausse couche ; elle pensait que le coup d’avoir été chassée par Monsieur Ponsart lui avait tourné les sangs et elle est allée chez l’herboriste chercher du sureau pour l’échauder et faire respirer à Sophie la fumée, qui enléverait l’eau qu’elle devait avoir dans la tête. Mais les douleurs étaient dans le ventre et elle souffrait tant qu’elle criait à étrangler ; alors, j’ai été prise de peur et j’ai couru à la rue des Canettes chez une sage-femme que j’ai ramenée et qui a dit que c’était une fausse couche. Elle a demandé si elle avait tombé ou si elle avait bu de l’absinthe ou de l’armoise ; je lui ai dit que non, mais qu’elle avait eu une grosse peine…
— Au fait ! passons ce fatras, dit M. Lambois impatienté ; nous n’en sortirons pas avant l’arrivée des amis et il est inutile de les mettre au courant de cette sotte affaire.
Maître Le Ponsart sauta toute une page et reprit :
— « Elle est morte, comme cela, et l’enfant ne vaut pas mieux ; alors comme j’avais mis ma croix de cou et mes boucles d’oreilles en gage, j’ai payé la pharmacie et la sage-femme, mais je n’ai plus d’argent et Madame Dauriatte non plus, car elle n’en a jamais.
« Aussi, je vous supplie à deux genoux, mon bon Monsieur, de ne pas m’abandonner, je vous prie qu’elle ne soit pas dans la fosse commune comme un pauvre chien. Monsieur Jules qui l’aimait tant pleurerait à la savoir si malheureuse ; je vous prie, envoyez-moi l’argent pour l’enterrer.
« En comptant sur votre générosité… Bon et et caetera, dit le notaire — et c’est signé : Veuve Champagne. »
M. Lambois et Maître Le Ponsart se regardèrent ; puis, sans dire mot, le notaire haussa les épaules, s’approcha de la cheminée, activa les flammes, plaça la lettre de Madame Champagne au bout des pincettes et, tranquillement, la regarda brûler.
— Classée, comme n’étant susceptible d’aucune suite, dit-il, en se redressant et en remettant les pincettes en place.
— C’est trois sous de timbre qu’elle a bien inutilement dépensés, remarqua M. Lambois que la placidité de son beau-père achevait de rassurer.
— Enfin, reprit Maître Le Ponsart, cette mort clôt le débat. Et d’un ton indulgent, il ajouta :
— En bonne conscience, nous ne pouvons plus lui en vouloir à la pauvre fille, malgré tout le tintouin qu’elle nous a donné.
— Non, certes, aucun de nous ne voudrait la mort du pêcheur. Et, après un temps de silence, M. Lambois insinua : Cependant il faut avouer que notre bienveillance, pour son souvenir, est peut-être entachée d’égoïsme, car enfin, si nous n’avons plus rien à craindre de cette fille, qui sait si, au cas où elle eût vécu, elle n’aurait pas de nouveau jeté le grappin sur un fils de famille ou semé la zizanie dans un ménage.
— Oh ! à coup sûr, répondit Maître Le Ponsart la mort de cette femme n’est pas bien regrettable ; mais, vous savez, pour le malheur des honnêtes gens, après celle-là, une autre ; une de perdue…
— Dix de retrouvées, ajouta M. Lambois, et il compléta cette oraison funèbre, par un hochement attristé de la tête.
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